Les furtifs est un roman de science-fiction, qui frôle le merveilleux-fantastique, et met en scène des créatures vivantes faites “de chair et de sons” qui vivent parmi nous, dans l’angle mort de nos champs de vision. C’est un roman qui accorde une primauté fondamentale au son et à la musique, puisque les furtifs naissent et se déploient autour d’un frisson, c’est-à-dire d’une mélodie vibratoire, d’une grande vitalité, autour de laquelle ils se construisent, métabolisent l’environnement proche et se métamorphosent sans cesse.
Prolonger le roman par un album, en redéployer l’univers littéraire par la voix, le porter en musique, relevait donc d’une évidence contenue dans le thème même du livre.
Outre qu’elle développe des imaginaires cohérents et, j’espère, puissants, mon écriture a toujours été extrêmement physique. Elle privilégie une approche très sonore de la langue, que je fonde sur des jeux multiples d’assonances et de consonances, en traitant les phonèmes comme des couleurs, des matières, des textures et en m’appuyant sur des syntaxes fortes, motrices, à périodes très rythmiques, propres à chaque personnage du roman.
Les textes qui en ressortent possèdent une dimension musicale marquée que la voix permet de restituer dans toute son ampleur.
Yan Péchin, de son côté, a travaillé avec les plus grandes figures de la scène française (Bashung, Miossec, Rachid Taha, Brigitte Fontaine, Hubert-Félix Thiéfaine…) et son instinct l’a presque toujours porté vers des chanteurs “à texte”, pour qui le texte et son phrasé est crucial. Il a longuement accompagné Brigitte Fontaine notamment, dans des concerts où ses facultés prodigieuses d’improvisation épousent les mouvements de la voix et des mots, parviennent aussi à s’en détacher, à les mettre autant en lumière qu’en contraste, tout en développant ses proches puissances. Son long compagnonnage avec Bashung l’a rendu sensible à la force de textes exigeants et ciselés et aux univers qu’ils libèrent.
Après avoir eu la chance de jouer ensemble tous les deux, dans le cadre de live, l’envie d’élaborer une sorte de “disque-univers” autour du livre-univers qu’est les furtifs s’est faite jour. Un disque-univers qui restitue, au fil des titres, à la fois la dimension narrative du roman (scènes-clés, tensions dramatiques comme Le cube, Sahar et Lorca, Réalité Ultime) que sa dimension imaginaire et poétique (Vivre ivre, Transfusion, Overmars) sans mettre de côté les valeurs politiques portées par le livre, notamment son vitalisme et sa radicalité (Entrer dans la couleur, Mantract).
Musicalement, Yan Péchin portera de part en part et de bout en bout la totalité de l’album. Il va enarchitecturer les morceaux, composer la structure, il en choisit les textures, les mélodies, les harmonies, s’appuyant sur une douzaine de guitares (acoustique, classique, électrique, dobro, basse…) qui sont autant de personnalités, et dont il tire, par son jeu de pédales, son rack magique d’effets, des possibilités tellement extensives qu’il peut faire sonner ses cordes comme un orgue, un violon, un drone, une nappe, un beat, directement et en condition de live.