Manuel Vidal est chercheur au Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS), il travaille actuellement à Marseille dans un laboratoire de neurosciences. Il a commencé son parcours académique par l’étude des mathématiques et de la physique, puis, lors de sa formation d’ingénieur Télécom il s’est spécialisé en intelligence artificielle et pour rentrer dans le monde des sciences cognitives. Il a obtenu un doctorat en neurosciences sur la cognition spatiale et la perception du mouvement propre en environnement complexe. Il s’est ensuite intéressé à l’intégration multisensorielle, cette mise en correspondance des différents signaux que traite le cerveau – vision, audition, vestibule – afin de construire notre perception et guider nos actions. Il a réalisé quelques études sur le traitement subliminal et comment la conscience perceptive émerge. Sa carrière scientifique reflète son intérêt pour le problème de la construction de l’expérience phénoménologique et pour les approches à la première personne de la conscience. Sur ces aspects, il est convaincu que la communauté des neurosciences a beaucoup à apprendre de la philosophie bouddhiste, et inversement, il existe de plus en plus de preuves scientifiques qui valident certains aspects de la théorie bouddhiste.
Neurosciences et Bouddhisme : une vision commune de la réalité ?
Lors de cette conférence je vais présenter comment les sciences cognitives modernes abordent la perception de la réalité, et je vais mettre en évidence les liens qui existent avec l’approche bouddhiste.
Dans la première partie, je commencerai par illustrer les facteurs qui contribuent à la construction de la perception humaine par des illusions classiques qui en démontrent les limites. Ces illusions permettront aux auditeurs d’appréhender par une expérience directe le fait que la perception n’est qu’une construction mentale. En effet, l’expérience phénoménologique ne peut être déterminée uniquement sur la base des signaux que nous renvoie le monde extérieur, bien au contraire, les informations d’origine interne telles que nos croyances, nos prédictions ou notre état mental jouent un rôle fondamental dans cette construction.
Dans la seconde partie, je donnerai un aperçu historique sur le concept de l’accès subjectif de la réalité, allant des anciennes philosophies orientales comme le bouddhisme aux sciences modernes occidentales. Bien que cela fasse plus de 2000 ans que les religions indiennes enseignent que l’accès à une réalité objective n’est qu’une illusion gouvernée par la déesse Maya, ce n’est qu’au début du XIXième siècle que la communauté scientifique occidentale commence à considérer la subjectivité comme un concept fondamental pour l’étude des êtres vivants. Partant de la théorie de l’Umwelt de von Uexküll, le concept de réalité objective a progressivement été remplacé par un monde subjectif dans lequel l’observateur et l’environnement ne peuvent plus être dissociés. À ce stade, je soulignerai les similarités entre le bouddhisme et les neurosciences concernant l’ontologie de la réalité.
Dans une troisième partie je vais m’attacher aux états modifiés de consciences (EMC) et essayer de montrer les bénéfices potentiels qu’ils peuvent apporter au développement spirituel personnel. Les EMS sont d’une part très intéressants pour les neuroscientifiques car ils donnent accès aux mécanismes automatiques de la perception, de la sélection d’information à la construction du monde réel. D’autre part, l’expérience même de différents modes de construction de la réalité ne peut que remettre en cause notre accès à une réalité objective extérieure ainsi que sur la notion d’individualité. Je conclurai en illustrant ces propos avec mes expériences avec la Salvia Divinorum, une substance psychédélique utilisée dans des rituels shamaniques par les indiens Mazatèques au Mexique.